« Lettre d’une Inconnue » ou l’écriture pour exister

Ce n’est pas romanesque comme « Autant en emporte vent » et ce n’est pas toute en finesse acidulée comme « Orgueil et Préjugés ». C’est brut, vrai et profond comme un cri de désespoir qui ne résonne pas faute d’air. C’est « Lettre d’une Inconnue » de Stefan Zweig.

Une écrivain reçoit une lettre d’une femme qui lui avoue qu’elle l’a toujours aimé. Il ne se souvient pas, ne sait pas de qui il s’agit. Pourtant elle l’a aimé depuis ses 13 ans et ils ont un enfant ensemble. Dans sa lettre, elle lui raconte tout. Une histoire somme toute assez classique: « je t’aime, toi pas, c’est affreux… » C’est juste la surface.

Le pire ce n’est pas la haine, c’est l’indifférence. Cette femme si amoureuse désespère devant l’indifférence de son aimé. Ils se rencontrent à 3 époques différentes et à chaque fois, elle est une inconnue à ses yeux. Jamais elle n’a une identité, une existence tangible à ses yeux. Il ne la voit pas. Son coeur lui sera éternellement fidèle, à lui qui ne s’intéresse pas à son âme. Elle voudrait juste exister pour lui, elle ne demande même pas son amour, elle lui offre le sien. Vainement. C’est la première couche.

Alors que son fils s’est éteint et qu’elle-même est malade, elle lui écrit une lettre. Elle met des mots sur leurs rencontres, sur leur histoire faite de morceaux épars. Par sa lettre, par l’écriture, elle veut l’obliger à la reconnaître, elle veut sortir de l’anonymat. Malheureusement, ce sera encore vain. Il ne se souvient pas. Ou pas assez. L’écriture n’a pas réussi à donner une existence, à éveiller une naissance dans l’âme de l’autre. C’est la deuxième couche.

Ecrire. Ecrire pour exister, pour que tout ne soit pas vain. Ecrire pour vivre. Même si la réussite n’est pas complète, même si les mots sont solitaires. Voilà peut-être le désir de l’écrivain.

« Lettre à une inconnue » est une magnifique nouvelle sur les relations entre les personnes et sur le lien à la fois douloureux et indispensable qu’entretient l’écrivain avec l’écriture. Ou du moins est-ce mon avis, mon ressenti. J’ai beaucoup aimé la plume brute et vive de Zweig, encore plus percutante que dans « Le joueur d’échecs ».

Après cette belle lecture qui va rester encore longtemps dans mon esprit, il faut que je retourne à ma Chartreuse… Merci à l’auteur du blog Happy Few qui a si bien su choisir les classiques de ce challenge. Tout un art.

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11 commentaires sur “« Lettre d’une Inconnue » ou l’écriture pour exister
  1. Je suis ravie que la plume de Zweig t’aie touchée : c’est vraiment une très belle nouvelle, bouleversante. Et je vois que tu avances à toute allure dans ton challenge : bravo!

  2. Charlotte dit :

    Fashion victim: Ce que je dois avouer c’est que j’avais commencé « La Chartreuse… » mais comme je n’étais pas très passionnée et que je n’y tenais plus, j’ai switché… :mrgreen:

  3. Shalima dit :

    Je n’ai rien lu de Zweig, mais tu me donnes vraiment envie de me plonger dans cette « Lettre » !
    J’ai commandé « Orgueil et Préjugés », je l’attaque dès que j’ai fini la trilogie Millénium 😀

  4. Mlle Figolu dit :

    J’aime Zweig, j’aime cet auteur, il a une écriture vraiment magnifique en général ! J’avais aimé à la folie : « Le joueur d’échecs » … Evidemment … Il va falloir que je me replonge dans ses nouvelles … Avec le temps j’ai fini par oublier… Merci de me redonner envie de le RE-découvrir 😀

  5. Charlotte dit :

    Shalima et Mlle Figolu: Je suis ravie de vous donner envie de (re)lire cette très belle nouvelle! 😛

  6. katty dit :

    Je suis aussi impressionnée par la vitesse à laquelle tu avances dans ce challenge .Ton billet m’a donné envie de lire cette nouvelle de Zweig cela fait uin moment que je ne me suis pas replongée ses oeuvres. As tu vu le film autant en emporte le vent depuis ton billet ?

  7. Charlotte dit :

    Katty: Bienvenue ici! C’est gentil de dire ça mais là je suis littéralement engluée dans la Chartreuse de Parme et ce depuis des semaines. 🙄 Je croche pas et je commence sans arrête autre chose… Et non, je n’ai pas encore eu l’occasion de voir le film. Il faudra que j’y pense.

  8. edwood dit :

    Bonjour Charlotte,
    Nouvelle très émouvante sur une quête d’identité desespérée. Elle nous montre aussi la douleur que peut susciter un amour muet.
    Le film de Ophüls est incontournable. Je viens de le revoir et j’ai l’impression qu’il sublime grâce à une vision à la fois personnelle et fidèle.
    Si cela t’intéresse, n’hésite pas à jeter un coup d’oeil à l’article que je viens de rédiger sur mon blog à ce sujet et qui sera prêt dès demain.

  9. Charlotte dit :

    Edwood: Binevenue ici! Je ne connais pas ce film, il va falloir que je répare ça… Je m’en vais faire un tour sur ton blog.

  10. edwood dit :

    Merci! Dans le monde du cinéma, je dirais que la découverte d’Ophüls est marquante. C’est un réalisateur qui a un style avec une vrai personnalité et qui n’hésite pas à bouleverser les normes du cinéma pour imposer sa vision.

  11. Bdellium dit :

    « Lettre d’une inconnue » une nouvelle comme l’on aime. Une recherche inespérée de la reconnaissance de l’autre chez celui (celle) que l’on aime. Et si les sentiments sado-maso hantaient l’Amour avec un grand « A » ? …
    Dans la même veine je conseille également :
    « Soie » d’Alessandro Baricco et « Eloge des femmes mûres » de Stephen Vizinczey.

    Vous avez aussi ma bénédiction, vous, les amoureux ! … 😆

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